dimanche 9 décembre 2012

De l'Ecriture d'Automne, mère et fils.






J'ai l'impression qu'à chaque fois que je me remets à écrire le froid revient, comme si coucher sur "papier" mes pensées s'accompagnait de flocons d'esprits éternellement froids.
Je prend la température de mes textes, ces derniers temps ils sont un peu fiévreux, alités, ils manquent d'énergie je trouve.
L'écriture est un exercice tellement particulier et tellement difficile, s'émanciper de ses propres codes devient un combat quotidien, perpétuel.

Mon article de Novembre intervient un peu tard, je vous l'accorde, mais j'ai été quelque peu occupé par mon travail sur les Rabbit Sisters et puis, je dois l'avouer, par ma découverte récente de ce phénomène vidéoludique qu'est League of Legends.


Exercice de style sur Nigthawks de Hopper


J'aimerais commencer en vous proposant ce court texte qu'a écrit ma mère il y a peu.
N'hésitez pas à laisser des commentaires si le coeur vous en dit, je lui transmettrais.


Nigthauwks, Hopper, 1942





















Phillies' La dernière séance de la femme à la robe rouge.

C'est un ticket qu'elle tient dans la main. Un ticket bleu. Un ticket de cinéma. Elle le tourne et le retourne entre ses doigts. Elle n'est pas vraiment là. Elle est encore dans la salle. 
C'était la dernière séance. Ils sont sortis du cinéma il y a 20 minutes, ils ont marché un peu au hasard, silencieux, et soudain au croisement de 2 rues sombres, les grandes baies vitrées se sont imposées à leurs yeux fatigués tel un diamant jaune au milieu d'émeraudes. Un endroit idéal, un seul client et le garçon qui s'affaire derrière le comptoir. Sans doute sur le point de fermer, il range un peu et lave les dernières tasses. Il est tard, la femme rousse a posé son manteau sur le tabouret d'à côté, elle a un peu froid, pourtant ce n'est pas l'hiver, pas encore. Elle repose ses coudes sur le bar en acajou presque chaud. La couleur cirée a la même teinte que ses cheveux. Elle se penche, un peu en appui, et allonge bien à plat son avant bras pour mieux sentir la douceur du bois sur sa peau nue.
Elle n'est pas vraiment là, elle se voit, son compagnon à ses côtés et cet autre homme plus loin isolé dans ses pensées, elle entend le tintement étouffé des tasses qui s'entrechoquent. Aucune des quatre personnes n'a envie de parler, ils sont épuisés, tellement seuls. La nuit dehors est profonde qui les enveloppe, même ici sous cet éclairage cru, la nuit dehors les pénètre jusqu'aux os. Elle ressent dans son corps, dans ses battements de cœur ralentis, le temps qui passe et étire ses minutes, le temps qui prend son temps et s'écoule ainsi que les grains de sable d'un sablier. Tout a un éclat étrange et le silence est plus épais. 
C'est souvent ainsi après un bon film, on reste encore sous l'œil de la caméra. Les éléments du décor qui nous entourent ne semblent pas vraiment à leur place et s'agencent différemment, il y a une légère distorsion et l'on a du mal à accommoder sa vision.
Elle tourne et retourne le ticket bleu entre ses doigts. Elle n'est plus là.
Elle est dans la salle aux fauteuils rouges. Rouge aussi le velours du rideau de scène. Et rouge encore la robe qu'elle a choisie. 
Le cinéma c'est grand. Grand comme un écran. Grand comme un visage en gros plan. Grand comme des yeux mouillés, une bouche qui tremble. Plein écran. Tout est bizarrement distordu, on croit suivre un long travelling alors qu'il s'agit d'un plan séquence presque immobile, rythmé à un battement de cils. Assise dans le noir, à côté de son homme étrangement distant, elle est seule avec l'image qui s'incruste en miroir sur son iris. Et ce sont ses yeux qui pleurent, sa bouche qui se tord. La tristesse la terrasse, elle s'y abandonne volontiers puisqu'elle sait que ça ne durera pas. Elle s'enfonce dans son fauteuil, agrippe fortement les accoudoirs. Le temps d'un gros plan, 1, 2, 3 secondes… et cela lui fait du mal, cela lui fait du bien. Il lui est impossible de résister à la musique, au rythme des images qui défilent puis se figent. C'est angoissant de perdre le contrôle mais rassurant tout autant. 
Le cinéma c'est vivant. Intensément vivant. Divinement brillant. Lorsqu'ils ont quittés la salle, ils sont passés devant l'ouvreuse qu'elle avait remarquée, songeuse et appuyée au mur pendant la projection. Ella a pensé que cette fille était aussi belle qu'une actrice. Ils ont franchi le hall lumineux et se sont perdus dans la nuit, leurs longues ombres s'allongeant jusques aux trottoirs.   

1942, CasablancaAs time goes by
Here's looking at you, Kid







Un poème alors?


Et puisque l'écriture semble être une entreprise familiale, j'enchaine avec mon dernier texte, j'espère qu'il vous plaira.








L'hiver en vers


Livrez-nous l'hiver, de la neige au gibet,
Nous réclamions des vers, éclaboussant les foules,
Le sang des rimes en fer qui sur les crânes coule,
Ces gens levaient leurs verres, ivres de quolibets.

Des énoncés du froid, du gel au bas du pied,
La métrique est saison, le poète en grelotte,
Il clame son gilet et conte sa culotte,
S'habille à l'élancé lorsque cela lui sied.

Il approchait potence et ne va point le feindre,
La peur en lui le lance, chancelant sous les coups,
Le peuple attend ses phrases, le peuple attend beaucoup,
Un vent glacé se lève quand il s'apprête à peindre.







Il est amusant de voir que je fais allusion à la peinture, même si ce n'est pas inhabituel, je trouve que cela rebondit finalement assez bien avec le texte au dessus.